Cecelia

Cecelia

Tout le monde l'appelait Cece, je lui avais demandé si c'était son véritable prénom, elle m'avait répondu : non, c'est Cecelia. Je préférais l'appeler Cecelia.

Un soir je l'attendais avec impatience au coin de la rue, car je ne l'avais pas vue depuis quelques semaines et elle était en retard. De loin j'ai vu arriver, tirant une petite valise, une silhouette élancée, volontaire, les cheveux châtains ondulés volant un peu, portant un long manteau de cuir souple de la couleur de ses cheveux... à cause de la valise, j'ai eu un doute : ce n'est pas elle.

Et puis, elle m'a fait un grand signe.

Tu comptes t'installer chez moi ? lui ai-je demandé après l'avoir prise dans mes bras à la volée, tu aurais pu me demander d'abord.

Non, non, dit-elle en riant, et elle m'a raconté une histoire abracadabrante comme elle en avait le secret, transit entre la maison de sa mère partie à Vancouver et son appartement, retard, donc plus pratique de venir directement chez moi - alors que son appartement était sur sa route - bref, je n'ai pas compris la logique de la démarche. C'était normal - non pas parce que je suis idiot.

En entrant dans la maison, elle fouille tout de suite dans sa valise pour extraire une trousse de toilette, et va directement ajouter du noir sur ses yeux, pas de rouge à lèvres cette fois-ci.

Ce jour-là, elle était très belle, resplendissante même, malgré le noir sur les paupières.

Pendant que je coupais les petites tomates, oranges, rouges et jaunes, pour ensuite les napper d'huile vierge première pression, de jus de citron, de sel et de poivre, et déposer en finale un brin de persil juste au centre de l'assiette, elle met le ventilateur de la cuisinière en marche et s'allume une cigarette. Rituel de l'hiver, quand dehors il fait froid.

Cecelia, mais la porte de la cuisine est ouverte, tu n'as pas besoin du ventilateur, d'ailleurs, tu pourrais plutôt t'asseoir dehors non?

L'écran de son téléphone flip-flop qu'elle gardait toujours en mode flip même enfoui aux tréfonds de son sac à main, l'absorbait toute entière. On ne pouvait pas la contacter, la plupart du temps sur ce téléphone, car la plupart du temps, son compte rechargeable était épuisé. Je lui avais déjà demandé pourquoi elle consultait si souvent cet écran alors qu'elle n'avait pas de connection. Je n'avais jamais eu de réponse satisfaisante.

À ma question, elle répond : Non, c'est pour la vibration que produit le ventilateur, c'est très important, et je vérifie sur mon écran si cela fonctionne.

D'un coup, j'ai compris que ce soir-là, ce ne serait pas un bon soir. D'habitude, je ne cherchais pas trop à comprendre, mais cette fois-ci, et le chien d'en face qui n'arrêtait pas d'aboyer, j'étais moins enclin à la patience, je lui ai demandé : mais que quoi ? fonctionne.

J'ai eu droit à une autre explication nébuleuse qui n'en finissait pas, même en l'absence de sous-questions

Bon, les tomates sont prêtes. Tu veux un verre de vin ? La question n'avait pas à être posée mais j'aimais l'entendre répondre avec toujours le même sourire espiègle et toujours sur le même ton joyeux : "Oh, that would be lovely". Le chien n'aboyait plus, nous nous sommes assis sur la petite terrasse attenante à la cuisine, la soirée était belle. Le soleil couchant filtrait à travers le feuillage des arbres alentours pas encore complètement déployé.

Elle dit, avec le regard émerveillé d'une petite fille : nous vivons dans un monde extraordinaire, et le reflet des rayons dans ses yeux la rendait lumineuse. Je profitais bien de cet instant, car à tout moment, les nuages noirs que j'avais appris à redouter pouvaient envahir son regard, tout alors devenait tumulte. En la regardant, à cet instant précis, j'étais d'accord avec elle, mais je répliquais tout de même : on voit bien que tu ne suis pas l'actualité de près.

Ce soir-là, elle n'a pas désiré jouer aux Échecs, comme nous l'avions fait tant de fois. Elle a préféré écouter de la musique sur YouTube. Un concert de U2 live, avec le volume poussé à outrance. Pourquoi pas. Sur le canapé du salon, elle laissait sa tête reposer sur mon épaule en fixant, très absorbée, l'écran de la télé.

J'avais prévu lui dire que j'avais peut-être, maintenant, une "petite" amie, que je voyais depuis quelques semaines. Alors, je lui ai demandé : Cela ne te dérangerait pas si je te disais que j'ai rencontré quelqu'un que j'aime bien ?

Mais non... nous sommes des amis, voyons.

J'ai regretté lui avoir posé la question sans l'avoir en face de moi pour voir ses yeux.

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