Elle jetait les hommes après usage, comme elle s'était fait jeter après usage, trop jeune. Elle passait d'un lit à l'autre, à l'autre, sans état d'âme, sans culpabilité, sans même une douche quelquefois. Elle ne jurait que par Christian Bobin, idolâtré par un amant précédent, sans doute. Avec les prochains, elle ne jurera que par Verlaine, le Dalaï Lama ou encore Sogyal Rinpoche. Et peut-être ensuite, que par les romans savon et le hockey vus à la télévision. Elle pensait exactement comme la toute dernière personne rencontrée pensait et faisait exactement ce que cette personne lui avait suggéré de faire. Se ravisait avec la suivante sans se poser une question. Elle ne lisait pas les livres qu'on lui offrait, ou ne les comprenait pas, ou n'en parlait pas, tout simplement. Mais elle aimait l'idée d'aimer la littérature, la poésie, les mots. Elle rêvait, plus jeune, d'études dans une école privée, avec de belles personnes, avec de beaux vêtements. Elle méprisait un peu son petit monde, le trouvait trop ordinaire. Les hommes de son village, des « ginos » comme elle les appelait, avec leurs voitures de rockers aux moteurs bruyants qui débordent du capot, n'étaient pas pour elle. Elle, rêvait de beaux objets. Elle avait un air romantique, tendre, attentionné, perdu. Elle disait souffrir du mal de vivre. Elle avait le visage angélique d'une jeune fille de 18 ans, déjà le corps d'une femme de 30 ans. Elle n'avait pas l'intelligence qu'il fallait pour savoir garder en harmonie son petit monde fait de mensonges et, quand tout craquait, elle sombrait dans une sorte de frénésie, simulant la déprime extrême et la maladie. Elle n'avait plus de mots, s'enfuyait. Elle mentait même à son psychothérapeute. Elle avait une double personnalité. Mais on avait envie de l'aimer.